Sport & Cinéma : qu'est-ce qui fait le film de sport ?

Sport & cinéma : qu'est-ce qui fait le film de sport ?

On a posé la question à un spécialiste du genre : cinéphile, cinéaste et documentariste sportif, Julien Camy est co-auteur d'un ouvrage de référence en la matière. Il nous raconte par le menu les liens entre sport et cinéma.

Comment le sport est-il représenté au cinéma ?

Bien des cinéastes se sont frottés à cette interrogation. Cette question, Gérard et Julien Camy se la sont aussi posée, en écrivant Sport et Cinéma, sorte de bible cinéphilique et sportive du sport à l'écran. Le père est un historien du cinéma reconnu. Julien Camy, le fils, un journaliste qui se définit sur Twitter comme un « cinéphile sportif & et un sportif cinéaste ». Il a réalisé, l'an dernier, Le roi mélancolique, un film documentaire sur René Vietto, figure du cyclisme dans les années 30. Une idée de sujet qui lui est venue en travaillant sur l'ouvrage qui nous intéresse. Petite particularité : les films y sont répertoriés par sport, pour offrir la porte d'entrée la plus large possible à l'ouvrage. Riche aussi en témoignages de cinéastes, de sportives et de sportifs, qui viennent apporter leur voix au débat. Une mine d'or pour les amateurs de sport et de cinéma.

Un succès d'édition spécialisée aujourd'hui épuisé, mais qui aura de nouveau les honneurs des librairies fin novembre. Le livre sera en effet réédité, dans une version augmentée, chez un nouvel éditeur (sortie prévue le 4 novembre 2021 chez Amphora Editions). Dix nouveaux sports, portant leur nombre à 70,-du A de Alpinisme au W de Water-polo-, sont décryptés dans le livre, avec un esprit d'analyse digne d'un grand joueur d'échecs. En tout et pour tout, 100 nouveaux films intègrent donc cette édition 2021... pour coller à l'actualité cinématographique récente, mais pas seulement.

Sport & Cinéma : qu'est-ce qui fait le film de sport ?

Les sports difficiles à filmer

« De grands sports comme la boxe, le football, sont ceux qui sont représentés dans le plus grand nombre de films dans nos pages...» entame Julien Camy. 

« La boxe, c'est très ciné-génique. Les adversaires sont comme sur une scène de théâtre. En hauteur, éclairés, dans un espace circonscrit, qui permet au réalisateur de chorégraphier la séquence ».

Par contre, de nouveaux sports font leur apparition, comme le badminton. Un sport dont la représentation à l'écran est surtout à aller chercher, selon les auteurs, du côté de la partie sud-est de l'Asie, où « c'est un vrai marqueur culturel ». Ils évoquent un sport « difficile à filmer, comme tous les sports où un objet volant circule à haute vitesse entre deux parties d’un terrain, le badminton est, de plus, souvent circonscrit dans des gymnases peu cinématographiques ».

Les cinéastes qui approchent la discipline doivent donc ruser, en l'évoquant notamment par le truchement de la poésie, ou de l'imaginaire, comme l'expliquent les auteurs dans l'ouvrage.

Sport & Cinéma : qu'est-ce qui fait le film de sport ?

« Rocky a sanctifié les codes du film de sport »

Compliqué, car le film de sport répond avant tout à des codes et la plupart des films de sport ont tendance à suivre un schéma similaire dans la culture populaire. On y découvre souvent un champion sur le retour, ou une équipe d'outsiders, qui vont tenter d'atteindre le but ultime. Si vous avez pensé à Rocky et à Rasta Rockett en lisant ces lignes, vous gagnez dix points au classement général des top lecteurs de L'Eclaircie.

« Avant que le sportif ne parvienne à ses fins, on passe par les scènes traditionnelles de l'entraînement » note J. Camy, où l'athlète est bien souvent coaché par le vieux loup de mer sur le retour, dont plus personne ne voulait entendre parler. Soit le fameux « training montage », comme on dit dans le jargon, popularisé, là encore, par Rocky, habillé de sa plus belle playlist « motivation monday ». C'est le schéma du « rise and fall... and rise again » : la popularité avant la chute... et l'inévitable renaissance. « Rocky a sanctifié les codes du film de sport » reconnaît le coauteur de Sport&Cinéma. « On a souvent besoin de ce schéma narratif pour s'identifier aux personnages » estime-t-il.

Dans le film de sport, ce n'est pas toujours l'enjeu sportif qui est au coeur

Peut-on pour autant en sortir et échapper à cette structure ? « Cela dépend des sports, arbitre J. Camy. Certains le permettent ». En 1963, Le prix d'un homme (This Sporting Life, dans sa langue de tournage), film britannique de Lindsay Anderson, a pour toile de fond le rugby à XIII. « Le réalisateur s'intéresse plus à l'aspect psychologique de la pratique sportive. Le cinéaste rentre davantage dans une réflexion sur le statut du héros, à la fois de joueur et issu de la classe ouvrière. Tout l'enjeu du film est de montrer comment son statut de rugbyman va lui permettre d'évoluer socialement... mais sans que l'enjeu sportif soit au centre de la narration ».

L'auteur cite aussi Red Belt, sorti en 2008, où le personnage central pratique le ju-jitsu et refuse le schéma à la Rocky, « pour garder intact l'esprit » de sa pratique martiale, dixit le synopsis. Parfois, le film de sport se permet même d'aller chercher des sujets plus sensibles autour de l'activité mise en lumière sur pellicule. Dans Nadia, Butterfly, sorti à l'été 2021, l'héroïne se retire de la natation. Le film canadien passe son temps à questionner l'engagement physique, psychologique et évoque pression et détresse, hors du champ des caméras. « Il y a encore des territoires à défricher » rebondit l'auteur de Sport&Cinéma.

Les questions politiques, sociales ou le sujet du dopage, de la santé mentale des athlètes, sont encore trop peu évoqués. Cela pèse bien peu en regard de ce que cela pourrait représenter.

Sport & Cinéma : qu'est-ce qui fait le film de sport ?

Tous les sports n'ont pas non plus les honneurs des caméras... et ce ne sont pas forcément ceux auxquels on pense du premier coup. Une série comme Le Jeu de la Dame s'est montrée reine dans l'art de filmer des parties sur le fil et a donné un coup de booster aux ventes d’échiquiers. Avant elle, un film La Diagonale du Fou (avec Michel Piccoli) avait su dépeindre toute l'intensité de ces « joutes statiques » comme il est dit dans le livre.

« Cela a aussi à voir avec la question de l'accès au sport, selon son milieu, son horizon social » juge Julien Camy. « Ça, c'est aussi un sujet trop rare ». D'ailleurs, quid de la réalisation en elle-même et de l'évolution de la captation des séquences sportives ?

« Dès les débuts du cinéma, des réalisateurs ont eu beaucoup d'idées pour filmer le sport » analyse le documentariste. En 1927, dans Sportif par amour (College, en VO, la magie des traductions françaises ne date pas d'hier), le héros, plutôt allergique au sport (et joué par Buster Keaton), s'essaie à toutes les disciplines possibles pour tenter de conquérir le cœur de celle qu'il aime. « A un moment donné, le réalisateur pose directement sa caméra dans l'aviron » pour être au cœur de l'action, le plus proche du héros ou du sentiment d'effort.

Côté sports collectifs, « la caméra a longtemps traîné dans les tribunes. Puis le cinéma a réussi à descendre sur le terrain... et à proposer autre chose que ce que pouvait proposer la télévision lors des retransmissions. Je pense que c'était aussi un enjeu des cinéastes pour se démarquer ». Là où la caméra de télé lui a emboîté le pas... mais c'est un autre sujet.

Sport & Cinéma : qu'est-ce qui fait le film de sport ?

« A ce moment-là, le cinéma a réagi. On ne va pas voir un film autour du sport pour voir un match filmé exactement comme à la télévision » veut croire Julien Camy. « Il doit avoir de l'empathie derrière les personnages, pour embarquer les spectateur•trices dans des émotions. Sinon, les scènes de sport, de l'effort, et a fortiori dans les scènes finales, on n’en a absolument rien à faire. Au cinéma, c'est le réalisateur qui dicte le tempo d'un match. C'est lui le maître du temps. Le pénalty n'est tiré que quand le spectateur a les informations suffisantes sur les personnages. Un film qui parle de sport n'est réussi que quand les cinéastes ont vraiment compris cela ». La pelouse du stade devient terrain narratif. De là à ce que les joueurs arpentent sans relâche un terrain supposé sans fin, façon Olive et Tom, il n'y a qu'un pas.

Alors... le film de sport, ça existe ou non ?

Pas besoin, non plus, de faire un film de sportif pur pour cocher toutes les cases du bon film de sport... D'ailleurs, existe-t-il vraiment ?

« Il n’y a pas assez de films de sport pour les mettre dans un genre. Ils n’ont pas la même notoriété que le western, la comédie musicale ou le film noir. Si on veut parler de genre, il faudrait citer les films de boxe, qui flirtent avec les films de voyous et un univers de paris, de matchs truqués, de mafia » déclare le réalisateur Régis Warnier (qui a fait de l'athlétisme le sujet de son film La ligne droite), dans les pages du livre.

Mais la réussite tient peut-être dans la dextérité de tel•le réalisateur•trice à combiner les genres. Julien Camy : « Quand Woody Allen fait Match Point, il réalise un polar dans l'univers du tennis. Dans les scènes de match, on ne sait jamais de quel côté du filet va tomber la balle... et c'est comme cela que se règle le scénario du film ! ».
Le sport, au service (du cinéma).

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Sport&cinéma : le making-of du livre

« Avec mon père, on a toujours été passionnés de sport et de cinéma. Regarder un match ou regarder un film a toujours été un dilemme à la maison. Ma jeunesse, c'était soit le Tour de France, soit les films de Jean Renoir ! Il y a eu une quinzaine d'années, on s'est rendu compte qu'il n'existait pas de livre traitant à la fois du sport et du cinéma. On s'est lancé dans cette aventure tous les deux, et il a bien fallu sept ou huit ans avant de trouver un éditeur assez fou pour nous suivre ».

En 2016, le livre sort dans sa première mouture : catégorie poids lourds, 3,8 kgs et 1500 films au compteur « choisis pour leur qualité cinématographique, leur manière de représenter le sport... et bénéficier du panorama mondial le plus complet possible ». Un équilibre à trouver pour ne pas se retrouver avec une représentation trop marquée de pays fortement pourvoyeurs de films du genre, comme les États-Unis. « Un film chinois sur le foot pouvait être beaucoup plus mauvais que le 20e film anglais ou américain sur le sujet... mais on l'ajoutait quand il pouvait dire quelque chose de la vision du sport pour le pays ». Impossible pour autant d'être exhaustif, malgré tous les efforts déployés par les auteurs. « On a fait des choix difficiles » reconnaît J. Camy. « On a essayé, dans la mesure du possible, de se mettre à la place du spectateur. Nous n'étions pas là pour juger un film de manière critique, mais bel et bien de l'intérêt du lien avec le sport dans chaque film ».

Sport&Cinéma (460 pages, Amphora éditions)
Le foot à l'écran (224 pages, Hugo Images)

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Jonathan

Marcheur invétéré (rien à voir avec la couleur politique), j'avale les kilomètres avec un bon réservoir de podcasts dans ma besace.

J'écris le reste du temps, quand je ne me régale pas d'images animées en tous genres (#tousaucinema). Ou que je n’ai pas une manette entre les mains. Pas encore sur Twitch. Mais qui sait ?

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