L’influence du manga sur le sport (ou l’inverse ?)

L’influence du manga sur le sport (ou l’inverse ?)

Olive et Tom (Captain Tsubasa en VO), Slam Dunk, Prince of Tennis… ont nourri l’imaginaire de plusieurs générations, créant ainsi des vocations chez des sportifs comme Zinedine Zidane, Thierry Henry, Lionel Messi, Kei Nishikori... De là à dire que le monde du sport ne serait pas le même sans l’influence de mangas, il n’y a qu’un pas.

Le manga de sport pour “faire ses classes”

Dans le Japon d’après-guerre, le manga devient LE divertissement au Japon. Très vite, le sport y prend beaucoup de place, et le manga de sport devient un genre très populaire. La plupart des mangaka (les auteurs de manga) commencent d’ailleurs par ça. Ce qui est aussi intéressant à noter, c’est que des sports (à commencer par le baseball) utilisent eux le manga pour véhiculer leurs valeurs, séduire… et “recruter” de nouveaux joueurs et joueuses. Et tout cela pour ? Sensibiliser les Japonais•es sous occupation américaine aux valeurs de l’Occident.
Voilà pourquoi le baseball devient vite central.

Plus tard, en 1950, lorsque les arts martiaux reviennent en grâce après cinq ans de censure au Japon, le but n’est toujours pas de flatter un certain esprit japonais, mais plutôt de faire migrer ces disciplines qui dépendaient de l’armée vers des disciplines sportives. Car non, l’occupant ne souhaite pas vraiment raviver un quelconque esprit guerrier.

Le retour en grâce des valeurs japonaises associées aux valeurs du sport (abnégation, sens du groupe…) s’opère plutôt au milieu des années 60, avec Ikki Kajiwara, le scénariste de Kyojin no hoshi (l’Étoile des géants) et de ​​Ashita no Joe (le Joe de demain).

L’influence du manga sur le sport (ou l’inverse ?)

Qu’est-ce que le Supokon ?

Le supokon est une mouvance qui fait partie du genre manga de sport.
Des jeunes gens qui pratiquent des entraînements très intenses, parfois à la limite de la torture pour devenir des citoyens forts, hors du commun. On parle de sang, de sueur et de volonté. En 1960, le supokon accompagnait aussi un regain identitaire, un pays qui en avait assez d’être occupé.
Aujourd’hui, le supokon est plutôt décrié dans la société japonaise : les parents ne sont plus à l’aise avec cette manière d’éduquer leurs enfants.

Comme l’explique Stéphane Beaujean, le commissaire d’expo : “Dans Captain Tsubasa, par exemple, on a bien le personnage de Mark Landers qui incarne le supokon : ce petit garçon qui vient d’un milieu très pauvre, qui endure des entraînements extrêmement douloureux, à essayer de renvoyer la balle contre une mer déchainée sur l’île d’Okinawa… mais on voit apparaitre aussi son pendant plus lumineux et positif d’Olivier Atton, le Captain Tsubasa qui lui pratique le foot par amour du sport, il ne cherche que le plaisir. On voit déjà que dans les années 80 le rapport des Japonais au sport est plus ambigüe. En 1990, le supokon a complètement disparu.

Comment l’auteur d’Oliver et Tom, ou Captain Tsubasa dans sa version originale est-il venu au football ?

Quand l’auteur, Yôichi Takahashi, décide de se lancer dans un manga sur le football, en 1980, absolument personne ne connait ce sport au Japon. Il y a bien eu un ou deux mangas qui ont essayé de se lancer dans les années 70… mais sans succès.
Quand Yôichi Takahashi commence, le baseball commence à perdre en popularité. Et lui, il ne s’y connait pas trop, donc bon. En parallèle, il découvre le football lors de la coupe d’Argentine et il a envie de tenter sa chance. Ce que lui conseille alors son éditeur, c’est d’ajouter des éléments exceptionnels… Commence alors ce manga devenu mythique en mettant en avant un enfant de 6 ans qui tire des ballons incroyables : des “balles magiques”.

Un hasard, ou presque, qu’admet l’auteur lui-même : « À l’époque, le football n’était pas très populaire au Japon et nous n’avions pas de ligue professionnelle. Les matches en direct à la télévision n’étaient pas diffusés aussi souvent. Donc, quand j’ai lancé Captain Tsubasa, je ne savais pas si ça allait être un grand succès ou non. J’ai pensé que d’autres Japonais pourraient apprécier le football et j’ai donc essayé d’écrire un manga de football. »

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Olive et Tom aux origines de la première ligue pro du pays

Un essai pour le moins transformé : si personne, pas même l’éditeur, ne croit au manga au premier épisode, dès le chapitre 10, toutes les écoles du Japon essayent de monter une équipe de football pour l’année suivante. En moins de 10 semaines, ce titre fédère un pays, lance une mode et transforme le football en sport majeur dans le pays.
À tel point que 10 ans plus tard, en 1992, la J-League, la première ligue professionnelle du pays, apparait.
Encore dix ans de plus et les Japonais co-organisent leur première Coupe du Monde. C’est à partir d’une bande dessinée que s’est créée toute cette culture du foot japonaise.

On observe la même chose dans les années 90 avec le basketball…

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Si Olive et Tom n’avait pas existé...

L’histoire du foot en Europe aurait été différente.
Sans exagérer. Captain Tsubasa, le titre original de Olive et Tom, s’est vendu à plus de 80 millions d’exemplaires hors du Japon. Fernando Torres, Zinedine Zidane, Thierry Henry, Gennaro Gattuso et Lionel Messi, notamment, ont témoigné de leur admiration pour la série.

Takehiko inoue, Michael Jordan et Slam Dunk

Stéphane Beaujean, le commissaire d’expo l’explique : “Un auteur, Takehiko Inoue, fan de basket (et de Mickael Jordan) crée Slam Dunk. Aujourd’hui il s’agit de la bande dessinée la plus vendue de l’histoire de la bande dessinée de sport. Et il déclenche aussi une mode au Japon : on assiste à la multiplication des clubs, des terrains… Et là encore : première ligue professionnelle… Aujourd’hui les Japonais comptent dans les compétitions de basket.”
Des univers qui n’en finissent plus de se mêler : l’auteur et la maison d’édition créent un fonds pour envoyer de jeunes basketteurs japonais poursuivre leurs rêves en NBA. En 2010, la Japanese Basketball Association récompense Inoue Takehiko pour sa contribution au succès du sport.
Et toujours autour du basket, le mangaka s’est attelé à un autre manga parlant de handi-basket : Real.

Zoom sur le para-manga

Les Jeux Olympiques de Tokyo 2020 ont amorcé quelque chose. L’idée principale étant de porter les valeurs des Jeux Paralympiques auprès du public. Une nouvelle série Tokyo 2020 Paralympic Jump a ainsi vu le jour en 2018 : on y lit les exploits sportifs d’un joueur de handi-basket, ou encore ceux d’un judoka aveugle.
Côté animation aussi, ça bouge. Une série de courts-métrages axés sur les sports paralympiques, dont l'objectif est de donner le goût des Jeux Paralympiques et du sport aux athlètes en situation de handicap a été porté par la chaine NHK (du service public japonais).

Le premier épisode Football à 5 présente l'équipe nationale du Japon face au Brésil, sacré champion du monde. Le synopsis a été écrit par Yoichi Takahashi, auteur du fameux manga Olive et Tom.

Est-ce qu’on peut apprendre à pratiquer un sport en lisant des mangas ?

“Pas forcément, explique le commissaire d’expo, vous pouvez regarder Captain Tsubasa en ignorant tout des règles du foot. Et vous ne comprendrez toujours rien à la fin. Un hors-jeu ne vous apparaitra pas plus clair après qu’avant*.

En revanche dans Slam Dunk l’auteur voulait évacuer tout ce qui était coups spéciaux et imaginaires, il voulait s’en tenir à un réalisme pur et dur. On est donc dans un récit qui ‘surdécoupe’ beaucoup l’action, pour pouvoir suivre et comprendre à tout moment comment sont disposés les joueurs sur le terrain, quels sont leurs gestes techniques, comment ils se passent la balle… L’auteur pousse cette grammaire tellement loin, que, dans le dernier album de Slam Dunk, on estime 3 minutes de temps réel de jeu pour 200 pages de récit. On est dans la finale, cette équipe de bras cassés finit par être en finale contre l’équipe reine. On assiste à un coude à coude dans les 3 dernières minutes. On comprend donc tout ce qu’il se passe sur le terrain, dans la tête de tous les joueurs. On sort de ce livre après avoir perdu 2 kilos de sueur, et en ayant tout compris à ce qu’est le basketball.”

*nuançons tout de même : l’intégration de commentateurs sportifs dans le récit afin de dynamiser la narration permet aussi d’expliquer quelques règles aux profanes.

L’écho des grands événements sportifs

En 1964, le Japon accueille les Jeux Olympiques et les mangas en sont logiquement les témoins.

Les Japonais•es assistent alors à deux éléments fondateurs :
- La victoire en finale, de l’équipe de volleyball féminine, les Toyo no majo. Cette victoire déclenche une fascination pour le volleyball. Immédiatement, les magazines féminins lancent leur série de volleyball. Notamment Attack number one. Et cela conquiert un large public.
Mettre en scène des filles qui suivent des entraînements intenses avec un corps qui n’est pas sexualisé bouscule les codes de la représentation féminine.

On assiste à une transformation de la façon dont on perçoit et représente le corps féminin. Cette répercussion irrigue ensuite d’autres mangas, qui n’ont pas forcément à voir avec le sport… Ces mangas féminins vont aussi diffuser des envies d’ailleurs, en se passant de plus en plus à l’étranger, notamment en Occident.

- La défaite du Japonais Kaminaga Akio contre le Néerlandais Anton Geesing en finale de judo. Cette défaite du Japon sur son sol, sur sa discipline la plus ancestrale est un électrochoc, vécu comme une réappropriation. Cette défaite sera reprise dans de nombreux mangas consacrés aux sports de combat.

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Orient / Occident : un échange bilatéral

Dans les années 80, 90, le Japon est autosuffisant. Quand les marchés français viennent acheter les licences de Dragonball, par exemple, les retours ne sont pas des plus enthousiastes : l’exportation n’intéresse pas le Japon, qui vend donc les droits pour pas grand-chose et passe à un autre sujet.
Et pourtant, cela aura une influence marquante : à mesure que les pays étrangers s’intéressent à la culture japonaise, l’inverse existe aussi, de façon assez vertueuse.

Au cours de la deuxième décennie de publication de Captain Tsubasa, quand la série a un peu d’ancienneté, le Japon est touché par une récession économique sans pareil. Là, Tsubasa se rend à l’étranger pour participer à toutes les grandes compétitions professionnelles. Il sort du Japon lui aussi. Il va participer aux Coupes du Monde, aux Jeux Olympiques, il devient membre de l’équipe du Japon… Plus tard encore il s’installe à Barcelone et joue au Barca : certains rêves, désormais, peuvent s’accomplir en dehors du Japon. On assiste vraiment à un échange bilatéral. Tsubasa devient l’allégorie d’un dialogue qui va dans les deux sens. Il est le premier héros japonais à adresser un message non plus seulement à la jeunesse nippone, mais également aux jeunes du monde entier.

Le meilleur pour la fin :)
Le saviez-vous ? Il existe un manga qui s’appelle Decathlon. On y suit l’histoire d’un lanceur de baseball au succès relatif qui abandonne ce sport. Encouragé par l’un de ses professeurs, il se tourne vers le decathlon où son talent se révèle. Donc non, rien à voir avec l’enseigne Decathlon, mais plutôt avec la baisse de la popularité du baseball dans les années 90. Decathlon est assez représentatif des mangas de l’époque qui mettent en scène des sportifs en se détournant du baseball pour s’investir dans une nouvelle discipline. Une discipline de choix !

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Berangere

< ça, c'est mon air ravi façon manga.

Quand je ne visite pas des expo, je suis sur mon vélo, à la baby-gym, l'éveil aquatique, sur des rollers ou dans un bassin, j'aime écrire sur tous ces sujets. Comme ça, la boucle est bouclée !

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