sport et lien social

Le sport comme lien social

Si le sport est souvent assimilé à la recherche de la performance, il a d’autres vertus, dont celle de lutter contre pas mal de types d’exclusion en renforçant le lien social. Mais comment ?

Comment l’activité physique vient-elle en aide chaque année à des milliers des personnes sorties des circuits sociaux traditionnels ? Rencontre avec Philippe Fourrier, le fondateur de l’association Cap Sport, qui travaille avec des sans-abris, des personnes handicapées… pour créer du lien social.

Les bénéfices moraux et sociaux liés au sport

Les bienfaits physiques, ça, c’est entendu. Ce que l’on dit moins, ce sont les bénéfices moraux et sociaux liés au sport. Si les sports collectifs créent l’entente et l’esprit d’équipe, toutes les disciplines fédèrent et permettent individuellement de cultiver l’estime de soi.
Quel que soit l’âge des sportifs, leur milieu et leur parcours, l’activité physique offre un partage et fait tomber les barrières, parfois nombreuses pour certain•es.

Les pouvoirs publics et les associations l’ont bien compris : le sport est un véritable vecteur d’inclusion sociale et les projets sur le territoire en ce sens sont nombreux.

Sport et lien social, une formule qui fonctionne

Quand j’avais quatre ans (oui, là à droite, la petite fille, c'est moi), j’ai commencé la danse classique, poussée par ma mère et ses rêves de me transformer quelques années plus tard en petit rat de l’opéra. Si son ambition ne s’est finalement jamais concrétisée, la pratique de cette discipline m’a fait grandir : moi qui étais assez timide et plutôt solitaire, il a bien fallu que ma langue se délie dans les vestiaires lorsque les autres petit•es danseurs et danseuses me questionnaient. S’en sont finalement suivis des échanges qui ont forgé mon côté bavard. Et puis, j’ai appris une technique, à me conforter aux attentes du professeur et à caler le rythme de mes pas sur ceux de mes camarades, à me coordonner et à faire attention aux autres. J’appartenais à une classe, au groupe des justaucorps roses pour commencer, puis à celui des violets et ainsi de suite…

Trente ans plus tard, je me souviens encore du nom et du visage des autres élèves, avec lesquelles j’ai partagé une expérience, des spectacles et un petit bout de chemin. Cette expérience m’a permis de m’engager dans une voie, hors du foyer familial et de l’école, d’intégrer un groupe, puis un cursus, de faire des choix. Par chance, je n’étais pas en situation d’exclusion lorsque j’ai commencé le sport. Mais le fait de le pratiquer m’a permis de prendre davantage confiance en moi et c’est un point clef de l’insertion sociale par le sport…

Pourquoi le sport est un facteur de socialisation ?

L’insertion sociale, qui peut revêtir de multiples formes, commence ainsi : un individu rejoint un groupe et y trouve sa place. Très naturellement -et implicitement- chacun endosse un rôle, des affinités se construisent et le groupe permet à tout un chacun de se (re)construire en tant qu’individu.

"Il y a 10 ans, on ne peut pas dire que problématiques sociales et sport faisaient bon ménage."

Dans ce sens, le sport a plus d’une carte à jouer pour devenir un facteur d’insertion sociale, tant il est capable de réunir des individus, jeunes ou moins jeunes, et de permettre aux pratiquants de se (re)connecter à un corps parfois mal aimé. Alors que pour un grand nombre, le sport est un élément clef du quotidien - on parle même de “routine sportive” -, il en va tout autrement pour d’autres personnes en marge des circuits sociaux et professionnels.

Venir ou revenir au sport, ça commence en fait par oser sortir de chez soi, oser mobiliser son corps, appliquer des consignes et à intégrer un groupe.

Les sports co, générateurs d'enthousiasme

Un sport collectif, c'est une équipe qui poursuit un objectif. Ses membres vont dans le même sens, recherchent des solutions ensemble et partagent un plaisir similaire. Quels meilleurs ingrédients pour former un groupe ? C’est d’ailleurs avec le football comme support que l’association Cap’Sport, créée par Philippe Fourrier, a commencé à lutter contre toute forme d’exclusion. Petit à petit, l’association, qui compte, en 2021, 28 salariés - tous anciens “éligibles” et bénéficiaires de contrats aidés - et 22 services civiques, a proposé la pratique d’autres disciplines.

Quel est le rôle du sport dans la société ?

Pourtant, la pratique sportive et l’inclusion sociale n’était pas un binôme qui partait forcément gagnant il y a encore quelques années… “Il y a 10 ans, on ne peut pas dire que problématiques sociales et sport faisaient bon ménage”, avance Philippe Fourrier, aujourd’hui administrateur de l’association CAP SPORT.

On parlait résultats, on parlait médailles et nombre de licences au sein des fédérations, mais sûrement pas d’insertion sociale par le biais du sport. Nous avons été précurseurs sur ce genre d’initiatives, alors que ce type de levier n’était pas encore entré dans les esprits. Aujourd'hui, les mentalités ont évolué et le Ministère de la Jeunesse et des Sports, par exemple, est désormais convaincu des bienfaits de l’approche par le sport pour lutter contre certaines problématiques sociales et notamment l’exclusion.

Au début de son mandat, en 2017, l’ancienne ministre des Sports, Laura Flessel, partant du constat que 55% des Français ne pratiquaient pas d’activité physique, avait fixé comme objectif la venue ou le retour au sport pour trois millions de Français avant la fin du quinquennat d’Emmanuel Macron.

Cette volonté s’articule pour le Ministère des Sports autour de trois grands axes :
- le sport santé,
- l’inclusion par le biais du sport,
- l’innovation sociale par le sport.

Sport et lien social, une formule qui fonctionne

Aujourd’hui, on se situe à ce niveau dans une logique de politique publique”, pointe Vincent Bouchet, cadre d’État placé auprès de l’Ufolep.

Pour tendre vers cet objectif, il faut adapter les services, investir sur la formation des éducateurs et dans l’acquisition de matériel adapté. Car cette dimension d’inclusion sociale exige qu’on rapproche les services de la population et qu’on s’adapte. Dans ce cadre, ce n’est pas le sport compétition qui prime. C’est d’abord l’accès facilité à l’activité physique, avec des équipements ou des structures placées au pied des habitations, et un accompagnement bienveillant et pédagogique.
Le sport qui vise à inclure socialement ne s’apparente pas à une activité intense ou un dépassement de soi. Il s’agit d’abord pour ces personnes de reprendre confiance en elles, de se redécouvrir, de se revaloriser et de reprendre certains points de repère.

Sport et lien social, une formule qui fonctionne

Reprendre confiance hors des circuits

L’association Cap’Sport s’est d’abord adressée aux enfants, notamment dans le cadre du Programme de réussite éducative (PRE).

La pratique sportive partagée, la mobilité, la latéralité… sont des fondamentaux pour le développement de l’enfant, de son corps et de son esprit. En ce sens, dès les premières années du petit pratiquant, le sport est déjà un facteur d’inclusion sociale, car il concourt son évolution.”

En France, le temps de pratique d’une activité physique est en deçà de la moyenne européenne.

73% des élèves font des activités physiques modérées ou intenses au moins 2 fois par semaine, là où la moyenne de l’OCDE se situe à 78% (Source : OCDE, Base de données PISA 2015, Tableaux III.13.7 et III.11.9).
En 2016, la Fédération française de cardiologie s’inquiétait de la perte de 25% des capacités physiques des collégiens en l’espace de 40 ans, du fait du manque d’activité physique et d’une préférence pour les loisirs plus sédentaires. “Ces chiffres sont des indicateurs forts, poursuit Vincent Bouchet.

Qu’il s’agisse de jeunes ou d’un public adulte, la sédentarité est un vrai problème qui participe directement à l’exclusion de certaines populations.

Sport et lien social, une formule qui fonctionne

“certains reprennent le chemin de l’emploi grâce au sport”

Quels sont les critères de réussite dans le cadre de ce type de projet ?

Le plaisir immédiat, même s’il est important, n’est selon moi pas un indicateur fiable”, pose Vincent Bouchet.

Lorsqu’un bénéficiaire s’engage dans la durée, en revanche, c’est positif. Aujourd’hui, nous sommes dans une société qui zappe rapidement.
Si un•e pratiquant•e décide d’inscrire des séances à son programme hebdomadaire, c’est un très bon indicateur, c’est qu’il ou elle adhère, adopte un rythme et se met d’une certaine manière des contraintes pour rejoindre le groupe.”
Pour le cadre d’État, la bienveillance, l’empathie, l’accompagnement adapté et l’envie sont les clefs de la réussite des dispositifs pour inclure socialement par le biais du sport. Pour Sophie Roulaud, les évolutions peuvent être tout à fait différentes en fonction des profils. “Pour certains, le fait de reprendre un rythme, c’est déjà une victoire”, assure l’éducatrice. “D’autres reprennent le chemin de l’emploi grâce au sport. Il y a en a qui apprennent à communiquer, qui se mettent à échanger avec les autres alors que c’était quelque chose de difficile pour eux. Pour vous et moi, ça ne représente pas grand-chose, mais pour certains, se lever le matin et avoir un but dans la journée, ça change complètement le quotidien.

On voit beaucoup de personnes qui ont des difficultés à sortir et qui ne sont jamais allées à 100 mètres de chez elles dans telle ou telle direction.
Leur appartement, c’est leur cocon, un cadre sécurisant en dehors duquel ils ne veulent pas s’aventurer.”

D’où la nécessité, pour le cadre d’État, d’aller au plus près de ces publics et d’avoir une méthode d’accompagnement très progressive, sans mise au défi immédiate. Car l’inclusion sociale par le biais du sport, c’est surtout utiliser le sport comme un moyen, afin de permettre à des personnes de rompre avec l’isolement. A contrario de la pratique sportive la plus classique, la recherche de la performance physique n’est pas la priorité.

Sport et lien social, une formule qui fonctionne

Quels sont les bienfaits du sport sur le plan social ?

Après être intervenue auprès des enfants, l’association Cap’Sport, dont le siège se situe dans le département du Calvados et qui intervient à Caen et dans ses environs, a rapidement étendu ses missions et s’est adressée à un public plus large, composé notamment d’adultes.
Aujourd’hui, ses bénéficiaires ont entre 3 et 90 ans.

Ce qui est bon dans le sport pour les enfants l’est également pour les adultes”, assure Philippe Fourrier.

L’association s’adresse à des publics souvent en grande difficulté, sortis du secteur de l’emploi, issus de l’immigration ou ayant fréquenté le milieu carcéral. On a affaire à des personnes qui n’y croient plus, qui ont une mauvaise image d’elles-mêmes et plus de lien social. Des personnes en marge, en dehors des circuits que nous pouvons connaître. Nous travaillons également avec des personnes porteuses de handicap, physiques ou mentaux. Nos animateurs se rendent dans les quartiers et vont au contact de ces populations qui sont parfois en situation de très grande précarité.

Sophie Roulaud, à la tête de l’association Esprit Sport Limousin, intervient en zones rurales et urbaines, notamment auprès de femmes isolées. “Par le biais de nos opérations, nous allons à la rencontre de populations fragiles”, indique Sophie.
Je travaille notamment avec des femmes ayant subi des violences ou qui arrivent sur des fin de parcours de prostitution. Nous travaillons sur la confiance en soi et sur le rapport au corps, qui doit être revalorisé, réestimé.

Le milieu sportif, au sens large, est un terrain de choix pour valoriser chaque compétence. Cette valorisation, le fait de créer du lien, de se réapproprier son corps, ça change un individu.”

Une chose est sûre : lorsqu’un pratiquant parvient à se remettre sur pied par le biais du sport, avec l’aide d’un ou plusieurs éducateurs, le contrat est parfaitement rempli. Et on imagine bien la satisfaction ressentie par les encadrants.

“C’est pour cela qu’on se lève le matin avec l’envie d’aller travailler”, conclut Philippe Fourrier.

Sport et lien social, une formule qui fonctionne

Quelle est l'importance de faire du sport ? la formation des éducateurs

Lorsqu’un éducateur se retrouve en milieu carcéral, au contact de jeunes en difficulté ou de personnes porteuses d’un handicap, il doit savoir faire face à différents types de situation et ne pas être uniquement concentré sur le volet technique du sport qu’il va proposer aux bénéficiaires.

Sport et lien social, une formule qui fonctionne

Les missions des éducateurs exigent savoir-faire et la bienveillance

Il y a 20 ans, pour travailler, on leur demandait d’avoir un bagage technique et c’était tout”, reprend Vincent Bouchet.

Aujourd’hui, sur le volet de la formation, il y a encore à faire même si nous avons progressé. La formation des éducateurs est un point clef pour que le projet d’inclusion sociale par le sport réussisse : ces professionnels doivent apporter des réponses adaptées, en utilisant certains codes sociaux, selon les personnes avec lesquelles il travaille. Il doit aussi savoir lever les freins, trouver des leviers et s’adapter.” Car l’éducateur, dans le cadre de ces opérations pour rassembler et “remobiliser” les pratiquants, doit véritablement prendre en compte la dimension sociale des projets auxquels il participe.

La réussite, c’est quand la famille ou la maman et son enfant s’y mettent, de façon autonome, sans nous, et deviennent des ambassadeurs du vélo, de la marche ou de n’importe quel autre sport dans leur quartier.

Comment le sport contribue-t-il à l’insertion ou la réinsertion sociale ?

La pratique sportive permet de prendre ou de reprendre confiance dans son corps et ses capacités physiques”, pose Sophie Roulaud, de l’association Esprit Sport Limousin.

Les rendez-vous et séances contraignent les bénéficiaires à suivre un rythme, à respecter des horaires. Grâce à la mobilisation physique, ils deviennent plus endurants et en mesure de gérer une journée de travail par exemple. Le sport les remobilise. Et puis, outre ce capital physique qui est revigoré, il y a un vrai travail sur le volet social grâce à la prise de contact avec d’autres personnes. Les bénéficiaires se remettent au cœur des interactions et doivent se conforter à des consignes, des règles, ne serait-ce que par rapport au port de la tenue adéquate. Ils gagnent en rigueur, reprennent le goût de l’effort. Des valeurs qui les font gagner en assurance et qui préparent certains au monde du travail.
Sophie Roulaud adapte les activités physiques en fonction des publics auxquels elle s’adresse, et propose notamment de la marche - une activité qui permet de recommencer en douceur -, des circuits training en milieu urbain, du badminton et de la boxe, entre autres.

En quelques années, l’association Cap’Sport a également diversifié les disciplines sportives qu’elle proposait pour tendre la main aux personnes en difficulté et les “remobiliser”. Après le football et ses dérivés, la marche, le vélo et autres pratiques sont mises à disposition. “Nous travaillons avec les services de la politique de la ville et allons notamment déposer du matériel de sport au sein des quartiers, à destination des jeunes de 5 à 14 ans. Pour l’utiliser, il y a des règles : il ne faut pas l’abimer et ne pas manquer de respect aux éducateurs. Notre taux d’incivilité est de zéro ! En faisant participer ces jeunes à ces premières activités, on prend contact avec eux et on peut ensuite les diriger vers les structures et clubs sportifs de leur quartier.

Sport et lien social, une formule qui fonctionne

L'intégration sociale par le sport, une politique défavorable aux filles ?

Dans les zones d’éducation prioritaire (ZEP), les filles sont deux fois moins nombreuses que les garçons à faire du sport et présentent un taux de pratique inférieur aux moyennes nationales.

Dans l’ouvrage Le sport fait mâle, La fabrique des filles et des garçons dans les cités, paru en 2016, ces chiffres sont expliqués par “l’histoire des politiques sociales urbaines par le sport, qui visent principalement l’insertion des jeunes potentiellement dangereux. Les filles de banlieues (...) jouissent d’une image plus favorable que celle de leurs homologues masculins dans la rhétorique politique et médiatique. Parfaitement insérées, elles seraient des “victimes” de la violence des hommes qu’elles côtoient au quotidien ou des “héroïnes” émancipées. Moins enclines à des comportements délictueux, plus discrètes dans l’espace public, les actions d’insertion par le sport visant la pacification des territoires urbains se désintéressaient donc du public féminin.

Résultat : les dispositifs en faveur de la pratique sportive des filles restent minoritaires.

Sylvia rédactrice Decathlon

Sylvia

Cavalière passionnée, runneuse à mes heures perdues (il y en a peu), je décline le sport à toutes les sauces et notamment dans mon métier, lié à l'écriture.

Journaliste sportive depuis une dizaine d'années, convaincue des bienfaits que peut nous apporter le sport, j'aime transmettre les bonnes informations en la matière et partager les conseils qui me sont offerts !

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